Scully et Mulder, héros de la série X-Files (1993-2002, 2016)

Scully et Mulder, héros de la série X-Files (1993-2002, 2016)

Nous inaugurons une série d'articles traitant du thème de la conspiration dans les œuvres de fiction. 
Le complotisme est le grand phénomène politique nouveau de ces dernières années. Non pas nouveau dans sa nature : les Mémoires pour servir l'histoire du jacobinisme, monument inaugurateur du complot maçonnique, rédigé entre 1797 et 1803, a soufflé sa deux-centième bougie en 2003. 
 
Non, phénomène nouveau par son ampleur sociale. Auparavant cantonné aux marges politiques (quoique, rappelons-le, 
l'échelon 1 du complotisme n'est pas si rare), le complotisme est désormais partout. Chez les Gilets Jaunes, qui colportent des fausses nouvelles sur Facebook via des circuits d'informations clos sur eux-mêmes. Chez le président de la République lui-même, qui voit chez ces mêmes gilets jaunes un montage des services russesSur le site ActuaLitté, qui commentant la parution du dernier livre de Juan Branco, s'interroge sur le fait que le même Président Macron ne serait « qu’un pantin aux ordres de ceux dont il a appliqué, à la lettre, un programme les servant ? » 
 
Bref, les oppositions idéologiques à visage découvert n'existent plus. Si vous vous opposez à moi, ce n'est pas par désaccord sincère, c'est par une hostilité malveillante et quasiment diabolique. Plus d'adversaires, mais des ennemis sournois et cachés. Chacun n'est plus que la Nemesis cachée de l'autre, et l'homme est un comploteur pour l'homme
 
Mais ce phénomène né dans les années 2000 avec l'éclosion d'Internet, des sites complotistes diffusant largement des thèses auparavant cloisonnée à un petit public, a en réalité été précédé par la fiction. Celle-ci, depuis au moins les années 90, et même avant, a banalisé un motif récurrent : le complot généralisé, responsable de tous les malheurs des héros. 
 
Que l'on comprenne bien les auteurs de ce blog : il ne s'agit pas de penser que les auteurs dont il va être question sont tous complotistes. Il n'y a, dans le recours au complot, généralement qu'un bon moyen pour les scénaristes et auteurs de recourir à la construction de deux figures narratives classiques : les héros et les grands méchants, et d'user d'un procédé indispensable : le retournement de situation. Si le grand méchant est caché, le faire découvrir au fur et à mesure que le héros découvre le complot le rend plus diabolique encore. Et ces découvertes fournissent des occasions de surprises renversantes pour les lecteurs et spectateurs... 

Palpatine dans Star Wars - La revanche des Sith (2005)

Palpatine dans Star Wars - La revanche des Sith (2005)

Quelques exemples : 
- X-Files, qui installe définitivement la figure du « syndrome de Scully » : la série met en avant une sceptique (Scully), qui cherche des explications rationnelles, lesquels s'avèrent toujours fausses, accréditant ainsi l'idée que la méthode rationnelle échoue. Indéniablement, un des fondements du mécanisme mental complotiste. 
- Star Wars I, II et III avec le chancelier Palpatine, en fait un seigneur Sith qui manipule la République pour la détruire de l'intérieur ; cette trilogie qui fait la synthèse du grand méchant (avec la reprise de sa structure telle quelle dans d'autres œuvres, par exemple le dessin animé Chris Colorado
- Toute l'œuvre de Dan Brown, avec le Da Vinci Code, Anges et Démons et Deception Point comme synthèses des théories classiques : le complot catholique, le complot des illuminatis, le complot de la CIA. La complète oeuf-jambon-fromage conspi. 
- Complots, avec Mel Gibson (cité par Douguine), où toutes les théories du complot présentées comme délirantes par les proches du héros s'avèrent vraies  (illustration du syndrome de Scully) 
- Eyes Wide Shut, de Kubrick : la notoriété de Kubrick a abouti à ce que les références plus ou moins assumées à la pédophilie de réseau et au « projet MK Ultra » cachées dans le film soient perçues comme une bouteille à la mer, destinées à alerter le public sur la vérité qu'on nous cache... Littéralement « les yeux grand fermés », le titre a lui aussi des résonances complotistes. Vous avez les yeux grands ouverts, mais vous ne voyez rien ; rien de ce qui se passe dans le monde, dans les médias etc. 

X-Files était intitulé en français « Aux frontières du réel » : cette expression résume à elle seule la mentalité complotiste : vous allez découvrir ce qui se passe au-delà de ce que vous percevez habituellement, à la limite de ce que le citoyen naïf peut comprendre. A la limite même de ce que l'esprit humain peut concevoir : des imposteurs qui tirent les ficelles en coulisse, des machinations extrêmement complexes ourdies dans l'ombre depuis des siècles, un complot diabolique absolument terrifiant et indicible... Tout discours complotiste emprunte à ce genre de scénarisation dramatique, en jouant sur l'attirance naturelle de l'esprit pour ce qui est caché

Eyes Wide Shut, de Kubrick (1999)

Eyes Wide Shut, de Kubrick (1999)

Force est de constater que la généralisation de ce schéma s'est faite un peu avant, ou au moins en même temps que la banalisation du complotisme, non plus comme ressort scénaristique éculé, mais comme mode de raisonnement politique premier degré par nos concitoyens. De là à s'interroger pour savoir si la poule a précédé l'œuf, et se demander si c'est la montée du complotisme qui explique sa popularité dans les œuvres de fiction, ou si ce sont les œuvres de fiction qui ont habitué le public à raisonner en complotiste, il n'y a qu'un pas, qui ne sera pas franchi. 
 
Il faudrait, sans doute, publier un livre entier, reprendre les chronologies des quatre dernières décennies, et l'histoire politique, artistique et littéraire de la France (parce que c'est notre maison), des États-Unis (parce que la culture populaire vient largement de chez eux) et du Japon (parce que les mangas ont eu un succès massif dans notre pays) pour établir les relations entre le complotisme, et la fiction. 
 
En attendant, ce thème permettra à ce blog de publier une série de billets légers, analysant, pour une série d'œuvres, leurs principaux aspects complotistes. Amusez-vous bien !

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