En marge de notre série sur « complotisme et culture pop », un article sur le film 300. Il n'a pas sa place dans notre série car il n'est pas complotiste. Mais il intéresse notre blog car la Sparte qui nous y est montrée ressemble à l'idéal politique des Suavelos : racisme social, esthétique fascisante, nationalisme outrancier, xénophobie, invasion étrangère... tout y est. 

Au passage, on peut s'étonner de cette fascination des natios pour les perdants à l'échelle de l'Histoire : les vikings, Sparte... Des civilisations qui se sont effondrées, n'ont jamais su s'adapter, n'ont quasiment jamais rien conquis et se sont laissé dépasser technologiquement. Sans parler du fait qu'ils n'ont rien légué d'un point de vue culturel et artistique, au contraire d'Athènes ou de la Renaissance... 
En termes de références européo-centrées, des templiers à Charles X en passant par Jules Ferry, du maréchal Lyautey, Faidherbe au capitaine Marchand, il y aurait de quoi trouver ses références pour un raciste européen... Mais non, ils adorent les Vikings et Sparte. Le virilisme le plus défait, le plus stupide...  On n'est même pas sur Attila le Hun, qui pourrait faire la jonction avec l'Asie tout en ayant du « sang européen », avec l'éducation romaine.  Les natios choisissent la défaite avec constance. Et ils se prennent pour l'avenir de l'Europe.

"300", un rêve de Suavelos.

Un article de Slate.fr paru en juillet 2014 s'intéresse à la manière dont la droite néo-nazie reprend les codes de la Grèce antique et en particulier de Sparte. L'article affirme d'emblée que 

tout néo-nazi est «néo» avant que d’être «nazi».

Slate.fr

 [:hardd0g:2] Pourquoi néo ?

Parce que l'idée est que le nazisme revivifie des thèmes antiques : il réinvente un néo-classicisme grec de pacotille en le mélangeant à un esthétique moderne de la violence. 

Mais, en 1928, c’est Adolf Hitler lui-même qui écrit que Sparte est le modèle du IIIe Reich à venir. Sparte, «premier Etat raciste» de l’histoire selon le nazisme, serait l’archétype de l’Etat aryen. [...] Pourtant, c'est justement le goût des nazis pour Sparte qui fait connaître à la cité un long purgatoire. Jusqu'aux années 1980, les historiens n'osent plus écrire sur Sparte de crainte de se voir taxés de philonazisme... Tant de siècles après son apogée, la cité était un temps devenu tabou.

Slate.fr

Ce tabou est aujourd'hui levé, et au cinéma, 300 cautionne sans complexe une vision fantasmée des Spartiates, tout en validant l'aspect autoritaire qui est historiquement exact. On peut donc considérer que toutes les pratiques spartiates montrées dans le film sont cautionnées. 
 
A l'évidence, c'est le cas de l'eugénisme, quand on voit que tous les personnages méchants du film sont laids. A commencer par le chef des Perses, Xerxès, grand échalas androgyne, avec ses bijoux grotesques et ses manières efféminées : il a tout de l'Oriental pervers, lubrique et peureux. A l'inverse, tous les gentils sont beaux -ou au moins athlétiques, virils, redoutables. C'est à un tel point que la défaite est causée, non pas seulement PAR un moche, sorte d'ancêtre de Quasimodo (Ephialtès), mais A CAUSE de sa difformité ! S'il n'avait pas été difforme, il aurait pu combattre avec Sparte. Ergo : quand on laisse vivre un difforme, on perd la guerre. Car tout difforme est un traître en puissance. Laideur physique <--> laideur morale. 
C'est d'autant plus intéressant que le film 300 est le premier film à suggérer qu'Ephialtès est difforme. La page Wikipédia montre qu'historiquement, il ne l'a pas été.
La bataille des Thermopyles, le film de 1962, ne le montre pas ainsi non plus. 

Il est clair que le film sublime l'eugénisme. Et de manière générale, le « darwinisme social » (avec des guillemets, car Darwin n'a jamais parlé de la survie du plus fort, mais du plus adapté).

Ephialtès

Ephialtès

Sans compter que bien des aspects de la barbarie spartiate sont passés à la trappe dans le film : quasi-esclavage des hilotes, mépris de la culture, « citoyens » qui vivent de vol et de pillage commis sur les hilotes, incapacité totale à s'adapter à l'évolution sociale... Il est évident qu'on a conservé uniquement ce qui permet de susciter le respect et une sourde admiration envers les héros : « oui, c'est dur comme système, mais regardez les hommes magnifiques que cela produit... »
En grec, le sthenos est la force, la volonté, le courage, cette chaleur qui se ressent dans la poitrine, et que l'homme viril doit endurcir dans les épreuves. C'est ce sthenos que 300 ne cesse d'exalter.
C'est aussi une version revisitée du « triomphe de la volonté ». Nietzsche est passé par là avec son surhomme, avant sa reprise caricaturée par les nazis. Mais il y a déjà quelque chose de spartiate (et de nazi ?) chez Nietzsche. 

300 est une énorme mise en scène de la lutte entre la race supérieure menacée par les étrangers impurs. On peut aussi y voir l'exaltation patriotique très Américaine des courageux Yankees contre les hordes de terroristes arabes. Tout cela se mélange très facilement. 300 pourrait être un film de propagande US bien réalisé, appelant les soldats au sacrifice pour la patrie. 

L'auteur du comics dont est tiré le film, Frank Miller est connu pour ses univers sombres, violents, amoraux (Batman - The Dark Knight Returns, Sin City...) C'est aussi un conservateur assumé, pro armes à feu et anti-Occupy Wall Street etc., comme le montre sa page Wikipédia. 

Dans une note de blog publiée le 7 novembre 2011 intitulée « Anarchie », il qualifie le mouvement de contestation pacifique Occupy Wall Street de « troupeau de rustres, voleurs, et violeurs » (« pack of louts, thieves, and rapists ») et s'insurge contre ceux qui tentent, de l'intérieur, de déstabiliser les États-Unis alors que pèse la lourde menace d'Al-Qaeda et de l'islamisme.

Page Wikipédia de Frank Miller

300 glorifie une époque où les hommes puissants, virils et pudiques dominaient sans crainte les « inférieurs ». Comment ne pas y voir des résonances avec les fantasmes racialistes d'une partie de la dissidence ? L'intérêt du film est d'assumer tout cela de façon outrancière. On n'est pas toujours loin de la parodie involontaire. Si Dominique Venner l'avait vu avant sa mort, il aurait dénoncé ces Américains qui tournent en dérision ses idées ; et au lieu de Notre-Dame, il se serait tiré une balle dans une salle de ciné ! 


 

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