Second article de ce blog sur Alexandre Douguine, ce théoricien russe gravitant autour de la « dissidence » : Douguine l'occulte -occulte à la fois parce qu'il verse dans l'ésotérisme (voir billet précédent) et parce qu'il est souvent présenté comme un conseiller occulte de Vladimir Poutine.

Cette fois-ci sous forme d'une discussion entre L'Helleno-chretien (contributeur de ce blog) et Rahsaan (admin) autour d'une interview de Douguine donnée à un journal belge, Le Vif : « Dans les démocraties libérales, tout est fake news » (voir des extraits en annexe). 

Selon Douguine, on ne peut plus connaître la vérité. Tout est mystérieux, tout est faux-semblant : fake news partout, vérité nulle part ! Chacun peut bien dire ce qu'il veut et défendre ce qu'il souhaite. L'Occident démocratique a donc échoué, et avec lui, la science et le journalisme : la vérité n'est qu'un leurre et le libéralisme un système d'oppression. Douguine défend donc un nationalisme intégral, fondé sur une mythologie de la race. Face à cela, la démocratie libérale est-elle défendable, ou bien est-elle nuisible à l'individu ? Ce sont les questions abordées au cours de cette discussion. 

Douguine l'occulte (2/2) : L'Eurasie, de "1984" à nos jours

L'helleno-chretien :  Tu as parlé dans un billet récent de ces propos complotistes tenus en « off » par Emmanuel Macron devant des journalistes du Point.fr. Est-ce uniquement à moi que l'entrevue du Président fait l'effet d'un changement d'ère ? On dirait que le complotisme, que l'on analyse avec toi depuis des années, a gangréné progressivement toutes les strates de la population et qu'avec cet entretien, le processus est achevé : le poisson pourrit par la tête (comme dirait Erasme, mais aussi Mao et Jean-Marie Le Pen !). Le Président est complotiste (il n'apporte aucune preuve de ce qu'il avance sur l'intervention des Russes dans les Gilets Jaunes, même s'il doit en avoir par les Services). Il n'y a plus de « vérité » au sens de réalité objective et factuelle partagée par la population dans sa large majorité. Tout n'est que complot des ennemis de son camp. 

Pour les socialistes, c'est le complot des oligarques, il n'y a aucun problème avec le Média, M. Maduro est un bon président victime d'un coup d'État... Pour la droite radicale, c'est le planétarisme, Attali etc. Et désormais, pour les libéraux, ce sont les illibéraux, Vladimir Poutine etc. 
Il n'y a plus de problèmes objectifs. Plus que des boucs émissaires. La plus haute autorité de notre pays, pourtant plutôt de ton camp, justifie ses difficultés par le méchant adversaire dans l'ombre. Nous serions désormais tous sommes manipulés par Russia Today, donc disons par la stratégie de Vladimir Poutine. C'est bien que les idées de Douguine ont gagné, non ? 

Rahsaan : Les individus comme Douguine (et Soral etc.) sont des gens indéniablement charismatiques, intelligents à leur façon mais dans le sens de malicieux. Ils savent inspirer un sentiment à la fois d'admiration et de crainte, face à la puissance et la hauteur de leur (supposé) savoir. C'est pourquoi ils captent l'attention et ils impressionnent par leur discours. Cela se voit dans l'interview de Douguine, aux réactions du journaliste, qui se fait cracher dessus mais continue à l'interroger, indigné mais un peu fasciné sans doute.  
 
Sur le fond, Douguine mélange habilement un peu de vrai et beaucoup de faux/de mensonger. 
Par exemple, il est faux et mensonger de dire que de nos jours, il n'y a que des fake news car les médias libéraux mentiraient tout le temps. Factuellement, c'est faux. Les journaux n'impriment pas à longueur de colonnes des mensonges, c'est-à-dire des informations dont les journalistes sauraient parfaitement qu'elles sont fausses ! Le Monde n'est pas la Pravda.  
Donc il est faux de dire que nous sommes à l'ère du triomphe des fake news. Nous sommes plutôt à l'époque où l'on dénonce les fake news et où le mensonge devient insupportable à l'opinion publique. 

De plus, il est faux de dire comme Douguine qu'on ne peut chercher la vérité qu'en faisant de la philosophie. N'importe quelle journaliste est tenu d'être scrupuleux et honnête dans sa façon de rapporter les faits. De même un scientifique. 

H-C :  Ce qui est passionnant, c'est que cette conception de la vérité va se retourner contre lui dans les cercles complotistes. A force de citer Hélène Blavatsky, célèbre occultiste un peu sombre, d'utiliser Aleisteir Crowley, de citer Alice Bailey et son « Avatar » etc. Alexandre Douguine finit lui aussi par se faire traiter lui aussi de sataniste ! Et sa proximité avec Christian Bouchet, soupçonné depuis longtemps d'avoir des liens avec le satanisme, n'arrange rien... 

R : Tu parles de conception de la « vérité », mais Douguine la méprise en réalité. Il ne fait pas honneur non plus à la philosophie. Car il insinue que la recherche de la vérité n'est bonne que pour quelques âmes isolées, pas pour le commun des mortels. En gros, personne ne sait ce qu'est la vérité, personne n'a vraiment les moyens de la chercher. Et seuls quelques rares penseurs la trouveront peut-être un jour. 
Dans l'interview, un coup il dit que tous les médias mentent dans les démocraties libérales (mais pas en Russie), un coup que de toute façon, personne ne peut être objectif. Ou même que la vérité n'existe pas vraiment. C'est l'idée de réalité qui disparaît : à la place, il n'y a plus des illusions et des apparences changeantes. Depuis le Gorgias de Platon, on peut savoir ce que cachent ces discours : l'apologie du mensonge, de la tyrannie, de la violence. Tout cela va ensemble, et repose sur une idée vieille comme la sophistique : si tout est faux, alors on peut dire ce qu'on veut. On ne peut vraiment jamais être accusé de mentir. Son éloge de la philosophie est donc parfaitement cynique. Il n'y a pas pire sophiste qu'un philosophe dévoyé... Abandonnez tout espoir de connaître la vérité, acceptez de vivre dans un monde faux. Soumettez-vous à la violence inhérente au monde, car vous n'y pouvez rien.  

H-C : C'est ainsi que je comprend également son entretien. La technique rhétorique utilisée face au journaliste du Vif me paraît d'ailleurs trop grossière pour être destinée à convaincre. Elle vise à scinder : ceux qui sont déjà dans le camp de M. Douguine ricanent de ceux qui pensent comme ce journaliste. Alexandre Douguine, à ce moment là, n'est pas en opération-séduction : il utilise juste l'entretien pour susciter l'affrontement, ce qui est jubilatoire pour les nationalistes. Je trouve l'échange comparable à celui dans lequel Jordan Peterson avait humilié le journaliste de Quotidien, qui l'avait bien cherché. Tout un tas de « petites gens » que les médias traitent de « fachos » manipulés par des « populistes » (c'est peut-être vrai) s'identifient enfin à un champion cultivé qui remet en place le « demi-cultivé » (le journaliste) qui les écrasait auparavant, parce qu'eux n'ont pas la culture... 

Mais j'avoue que cet entretien entre Alexandre Douguine et le journaliste du Vif me répugne aussi. C'est sur la forme que je le trouve comparable avec celui de M. Peterson, et sur le fait que les journalistes (surtout ceux de Quotidien) méritent parfois le mépris qu'ils reçoivent : sur le fond, je pense également que Douguine a tort quant à l'indifférence du mensonge et de la fausse nouvelle. Je partage ton avis sur le fait qu'il confère un usage dangereux à la parole.

R : Oui, la parole comme coup de force et comme expression des instincts profond du peuple... Pour un nationaliste, quel que soit son pays, la Nation passe avant tout. C'est-à-dire évidemment avant les pays étrangers, mais surtout avant la vérité. Pour un gaulliste obtus, tout ce qui est français est admirable (et tout ce qui vient des USA est détestable). Pour Heidegger, seuls les Allemands ont vraiment accès à l'Être (et pas les Français, encore moins les Anglais, et surtout pas les juifs etc.) Douguine a proposé l'idée de « quatrième théorie politique ». Selon lui, la première est le libéralisme, la deuxième le socialisme, la troisième le fascisme et le nazisme. A ses yeux, elles ont toutes fait la preuve de leur échec, car elles appartiennent au monde moderne décadent. Sa « quatrième théorie » (très inspirée de Heidegger) serait la seule à rompre avec la modernité, par un retour à l'âge archaïque de la race nordique etc. (on en a parlé dans le billet précédent). Mais cette quatrième théorie n'est qu'une resucée de la troisième ! Les points communs sont flagrants : nationalisme fanatique, mystification sur les origines, croyance à la race supérieure, apologie de la violence etc.  
Un nationaliste se moque de la vérité, au fond. Il ne dit et ne croit que ce qui va dans le sens de son préjugé nationaliste ; dans le sens des intérêts de son pays, ou ce qu'il croit être ces intérêts. Il n'a aucun scrupule à mentir pour le bien de son pays. Peut-être que des gens comme cela sont nécessaires dans chaque pays. Mais ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas être philosophe et être nationaliste.  

Douguine l'occulte (2/2) : L'Eurasie, de "1984" à nos jours

H-C :  Je suis en désaccord. Au sens de la philosophie platonicienne, certes. Mais c'est déjà une façon de présumer que les choix idéologiques sont des vérités au même titre que la couleur du ciel ou l'odeur de la rose. Un philosophe peut très bien constater que son groupe (nation, civilisation, famille élargie au clan) a des valeurs, des rites, des coutumes, une langue, une religion, qui sont différents de ceux du voisin, qui justifie qu'il fonctionne et se régisse comme une entité autonome. Voire considérer, avec un fatalisme pour le coup typiquement philosophique, que l'humanité n'arrivera à se régir par la seule loi de la raison et qu'il lui faut donc se régir par affinités de groupes. 
Évidemment, tu auras reconnu derrière ce dernier argumentaire ma propre position. 

Ce qui me frappe dans cet entretien d'Alexandre Douguine, c'est qu'au nom d'une vérité très relative, il en vient à déclarer que « tout est fake news » et que les journalistes sont,  « par définition des menteurs ». En tout cas dans sa perspective « eurasiste ». Autrement, dit, « la vérité, c'est le mensonge ». C'est l'un des slogans du Parti dans 1984 de George Orwell, qui imagine justement, en Angleterre, un univers totalitaire à la soviétique. Ce qui me frappe, ce sont les coïncidences de l'Histoire avec l'histoire d'Orwell. Dans le livre, le personnage principal vit dans un bloc politique où un Ministère d'Etat tout entier est chargé de la propagande. Ironiquement, il s'appelle le ministère... de la Vérité : le « Miniver ». 
Plus encore, dans le livre, le personnage principal, qui croit, modestement mais intimement, que la vérité est ce qu'il voit et pas ce que lui dit le parti, est confronté à un type bien plus intelligent que lui, son supérieur, (paradoxal) ami et tortionnaire, O'Brienn. Et O'Brienn gagne face au personnage principal quand il finit par faire admettre au personnage principal que si le parti l'a déclaré, deux et deux font cinq. Un homme supérieurement intelligent, plutôt sage mais pervers, qui pense que la vérité n'existe pas et qu'elle n'est que construite, cela ne te rappelle personne ?...

Douguine l'occulte (2/2) : L'Eurasie, de "1984" à nos jours

 

J'ai cependant oublié (ou fait semblant d'oublier) la meilleure analogie. Dans 1984, Winston, le personnage principal, vit en Angleterre, mais celle-ci est intégrée dans un bloc politique plus large, l'Océania. Celui-ci regroupe le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l'Océanie. Soit trois puissances non seulement anglophones, mais, dans notre monde, maritimes. Or dans le livre, l'un des principaux rivaux d'Océania est un bloc politique unifiant l'Asie et l'Europe continental. Soit la tellurocratie contre la thalassocratie. Ce bloc rival d'Océania a pour nom, dans le livre... Eurasia ! Finalement, quand Alexandre Douguine a écrit son livre Le Prophète de l'Eurasisme, il aurait pu l'illustrer par une photographie d'Orwell !

Car le livre suggère qu'Eurasia est aussi totalitaire qu'Océania et manipule la vérité de la même manière. Le pire, c'est que j'imagine bien Alexandre Douguine, si l'on le confrontait à ces éléments, répondre non seulement que c'est certes une fiction, mais plus encore, que dans le livre, c'est une victime du totalitarisme thalassocratique d'Océania, Winston, qui parle. Donc qu'en fait, ce sont les dirigeants d'Océania qui font croire au peuple qu'Eurasia est tout aussi dictatoriale, mais qu'au fond Winston n'en sait rien, victime des fake news, tout comme les médias libéraux occidentaux font croire à leur peuple que la situation en Russie est dictatoriale alors qu'il n'en serait rien... 
Je suis donc d'accord avec toi, Rahsaan, pour dire que si le nationalisme, c'est de dire que l'on a toujours été allié avec l'Estasia parce que Big Brother l'a dit sur Spoutnik ou Russia Today, alors que l'on sait bien qu'hier, c'est avec Oceania que nous étions alliés, c'est incompatible avec la philosophie.

R : Incompatible avec la philosophie, avec la science, avec la simple idée de vérité. Je lis sur le Wikipédia anglais que Douguine considère la physique et la chimie comme des « sciences diaboliques ». A l'époque de l'URSS, on disait qu'il y avait des « sciences bourgeoises ». Douguine déteste le communisme, mais il admire le côté totalitaire de l'Etat soviétique. 
Autre point que je voudrais souligner, peut-être le plus important : Douguine affirme qu'on devrait aujourd'hui avoir le choix d'adopter ou non une société libérale. Il sous-entend que le libéralisme, qui postule le pluralisme, ne laisse en réalité pas aux gens le choix d'être libéraux ou non. Donc si le libéralisme ne se met pas en accord avec ses principes, il n'est pas libéral, il est totalitaire. Car un libéral devrait normalement  admettre qu'on le critique, voire qu'on le rejette. Un libéral devrait accepter qu'on mette fin au libéralisme ! Donc ce système est contradictoire. 

Douguine est très habile : il essaye de coincer le libéralisme en le prenant à son propre piège. Selon lui, il y aurait une alternative possible au libéralisme, qui est le système nationaliste qu'il propose.  Mais c'est un peu toujours pareil : c'est au nom des droits de l'homme que certains disent qu'on a le droit de faire une société sans droits de l'homme.  
De plus, comme tout idéologue, Douguine occulte l'histoire ou la tord dans le sens qui l'arrange, tout à ses fantasmes d'Eurasie. Mais si on s'intéresse non plus à la mythologie mais à l'histoire, on voit que les pays les plus prospères sont les démocraties libérales, et que les totalitarismes ont échoué. 

Drapeau fictif pour "1984" d'Orwell

Drapeau fictif pour "1984" d'Orwell

H-C :  Certes le nationalisme est dangereux, mais à l'inverse le libéralisme dissout les identités dans une globalité qui ne convient pas à l'individu. Plus d'affinités culturelles. Il ne reste que l'individu, seul face à ses choix, sans références, sans alliances, libre de se réinventer, mais à partir de quoi ? D'un passé honni, d'une culture collective rejetée, d'une famille suscitant la méfiance...  Comment l'individu pourrait-il exister sans une communauté ? 

R : Le fils de Frédéric Haziza, dans l'article où il démonte si magnifiquement Soral, défend aussi le communautarisme et même la « solidarité tribale » : « Appelé ainsi, ce sentiment peut en effet faire frémir, mais il s’agit seulement d’un sentiment d’appartenance avec lequel on naît, sans pouvoir rien y faire, plus que d’un sentiment d’ailleurs, d’une appartenance de fait, d’une fraternité unissant des gens de même culture, partageant une mémoire et des valeurs communes, parfois une langue ou son souvenir… Où est le mal ? »

J'apprécie l'argumentation de David Haziza ; déjà parce que c'est une argumentation, et pas une suite d'affirmations en l'air. Mais je ne peux pourtant pas me rallier à ce communautarisme. Je ne voudrais pas vivre dans un village ni même une région où tout le monde se connaît. J'étoufferais. Je suis sans doute trop individualiste pour cela (mais évidemment, je ne peux parler que pour moi). A tout prendre, j'aime mieux l'anonymat et une certaine solitude du « village global ». D'ailleurs, est-ce un mal si, comme le dit Attali, les pays sont des hôtels ? Dans un hôtel, on est censé être bien accueilli et se sentir comme chez soi.

H-C : Je crois quant à moi que l'individu ne s'invente pas dans la solitude. Et pour appuyer ce point de vue, je reprendrai cette magnifique réflexion de John Donne : « Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble ; si la mer emporte une motte de terre, l’Europe en est amoindrie, comme si les flots avaient emporté un promontoire, le manoir de tes amis ou le tien ; la mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain ; aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne ». 

En tous cas, je suis d'accord avec toi : David Haziza parvient dans un sens à réconcilier le libéralisme avec un certain communautarisme, sans verser dans la dictature appuyée sur le mensonge, donc sans brimer l'individu. On pourrait presque se « réconcilier » grâce à un Haziza : le cauchemar du Master !

Annexe

L'interview donnée par Alexandre Douguine à Le Vif a été publiée en intégralité sur le site d'E&R. Extraits :

« Cette critique vaut-elle également pour Russia Today et Sputnik ? 
 
C’est tout à fait différent. RT et Sputnik font parfaitement leur travail. Ils promeuvent une alternative à l’agenda libéral globaliste. Ils élargissent l’opinion démocratique. Nous nous défendons uniquement contre l’élargissement agressif de la société moderne. L’Occident devrait accepter que la forme de société libérale soit optionnelle. 
 
Ne trouvez-vous pas problématique que des médias comme Russia Today et Sputnik inventent tout le temps des événements ? 
 
Les médias mentent en permanence. Tout est fake news. On ne peut approcher la réalité de manière neutre. L’esprit humain fonctionne toujours avec de l’information pro-cédée. Si vous cherchez la vérité, je vous conseille de devenir philosophe : vous aurez une vie intéressante. Celui qui travaille dans les médias est par définition un menteur. (...) 
 
Mais il y a les faits, tout de même ? Si demain Moscou lâche une bombe sur Bruxelles, et j’écris que Moscou a lâché une bombe sur Bruxelles, ce n’est pas un mensonge ? 
 
(ricane) D’abord et avant tout, vous ne pourrez rien écrire si cela arrive. Vous serez mort. 
 
Mettons que je survive. 
 
Même alors, il vous faut recueillir des informations et vérifier les sources. Qui paiera votre billet pour accéder aux ruines ? Comment allez-vous prouver que Moscou est derrière les bombardements et non Oussama ben Laden ? Aujourd’hui, il n’est même pas clair qui étaient les auteurs du 11 Septembre ! D’abord, c’étaient les Saoudiens, mais à présent le président Trump a suggéré qu’il fallait une nouvelle enquête. Pourquoi est-ce nécessaire ? Parce que tout est fake news
  
Vous êtes sérieux là ? 
 
Dans notre société, on ne peut jamais être vraiment sûr que l’avion avec lequel Moscou a soi-disant lâché la bombe ait été détourné au dernier moment par des musulmans. Vous connaissez le film Conspiracy Theory
 
Non. 
 
C’est un film extrêmement intéressant dont le personnage principal voit des complots partout, et qui est traité de fou. Mais finalement, il s’avère qu’il est le seul à avoir eu raison depuis le début. 
 
Mais c’est de la fiction, non ? 
 
Non, c’est le paradigme de la réalité. Nous vivons dans une réalité virtuelle du fake news. Le journalisme aussi est un produit typique de la modernité. La vérité est difficile à trouver, et pour la trouver nous devons éliminer le journalisme. (...) 
 
L’autoritarisme s’intéresse encore beaucoup moins à la vérité. 
 
Au contraire, dans l’autoritarisme il y a encore un choix. Le totalitarisme, la théocratie, la société de castes : dans les systèmes autoritaires, nous avons le choix entre plusieurs mensonges, ce qui est nettement plus agréable. En démocratie libérale, il n’y a qu’un mensonge à croire : l’assertion que la démocratie est la moins pire de toutes les formes de gouvernement. (réfléchit) Vous savez, le mal est surtout en nous. Nous mettons trop d’espoir et de confiance en la technologie épistémologique. Par exemple, je suis très préoccupé par la confiance aveugle des sociétés en les réseaux sociaux. »

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