La méthode Soral expliquée

Beaucoup de lecteurs de Soral expliquent qu'il faudrait le contredire sur chacune de ses déclarations.  
Cette casuistique chronophage n'est pas nécessaire, à condition de poser quelques questions pertinentes : 

- Existe-t-il une méthode Soral? 

- Comment Soral s'y prend-il pour manipuler les faits ?

- Quelles techniques emploie-t-il pour mêler le vrai et le faux ? Sur quoi repose le récit complotiste qu'il a construit au fil des ans, vidéo après vidéo ?
Il existe très probablement une méthode Soral consistant à relier du vrai avec du faux afin de tenir un raisonnement erroné. Il est aussi probable que Soral utilise systématiquement le même schéma, il suffit d'analyser quelques-unes de ses sorties pour le constater.

Par exemple, ce que dit Soral à propos de l'article 16 de la Constitution est révélateur de cette méthode : 

Citation de Soral :


...Il y a le joker du système pour annuler les élections qui est l'article 16, il faut que les gens s'intéressent à l'article 16. Si la paix sociale ne peut être maintenu, si il y a des troubles trop violents, la Constitution permet d'annuler le processus électoral et de maintenir le pouvoir en place tel qu'il est.



Sauf que non, voilà ce que dit l'article 16 de la Constitution

 

Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. 
 
Il en informe la Nation par un message. 
 
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet. 
 
Le Parlement se réunit de plein droit. 
 
L'Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels. 
 
Après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée.




D'une part le recours à l'article 16 est possible seulement sous conditions (prévues à l'alinéa 1er) 
D'autre part, l'article 16 ne fait mention d'aucune possibilité d'annuler, de suspendre, ou de reporter un scrutin
Les modalités constitutionnelles d'organisation du scrutin présidentiel sont prévues à l'article 7 de la Constitution qui ne prévoit de possibilités de report de l'élection qu'en cas de décès ou d'empêchement d'un candidat : 

Citation d'un article de l'Express :


En l'état, une "simple" menace terroriste, aussi forte soit-elle, ne peut à elle seule justifier un report du scrutin. "La constitution ne prévoit de report possible que par rapport à la situation de l'un des candidats, commente pour L'Express Pascal Jan, professeur à l'Institut d'études politiques de Bordeaux. Comme cela, je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourrait prendre une telle décision."  
 
La lecture de l'article 7 de la Constitution confirme en effet cette lecture. Le texte suprême n'envisage, en période de campagne, que le cas de l'empêchement de l'un des candidats.


 


Tout serait beaucoup plus compliqué si la France était frappée quelques jours avant l'élection, sans rapport direct et incontestable avec l'élection. Difficile, dans ce cas, d'y voir clair. Ce serait une première. "Je ne vois pas l'ancrage qui permettrait de décider d'un report, s'interroge Pascal Jan. On pourrait se dire que la solution pourrait dès lors provenir d'une concertation entre les candidats, qui se mettraient d'accord sur l'idée d'un report. Mais seul le Conseil constitutionnel, encore une fois, a le dernier mot". 



Quant à une annulation du scrutin une fois qu'il a eu lieu, elle n'est possible qu'en cas d'irrégularités susceptibles de fausser les résultats du scrutin : 

Citation d'un article de Libération :


Le contexte sécuritaire, l’irruption d’un débat provoqué par un événement imprévisible à la veille du scrutin ne justifierait pas un changement de calendrier. «On ne peut pas mesurer les conséquences, savoir à qui ça profiterait, dans quel sens ça pèserait, explique Pascal Jan. Mais s’il y a une ou plusieurs attaques le jour du vote, qu’il y a une chute de la participation, le Conseil constitutionnel peut en tirer comme conclusion qu’il y a eu une atteinte au vote. Il pourrait alors y avoir une contestation du premier tour. Mais il faudrait un concours de circonstances exceptionnel.» 
 
Un scrutin peut donc être annulé a posteriori. «Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate l’existence d’irrégularités dans le déroulement des opérations, il lui appartient d’apprécier si, eu égard à la nature et à la gravité de ces irrégularités, il y a lieu soit de maintenir lesdites opérations, soit de prononcer leur annulation totale ou partielle», explique ainsi l’institution sur son site.


 

Citation :


Mais pour faire annuler un résultat, les irrégularités constatées doivent être d’une ampleur telles qu’elles pourraient changer l’issue du scrutin. A cette échelle, on peut d’ailleurs supposer qu’elles ne seraient pas le fait de maladresses et d’erreurs mais bien volontaires. «Admettons que le candidat en tête ait 1 000 voix, le deuxième 900 et le troisième 500, pose Pascal Jan pour aider à comprendre. Si on constate des irrégularités sur 400 bulletins, alors le troisième pourrait se qualifier. Dans ce cas, la sincérité du scrutin est mise en cause car le résultat final pourrait être différent, donc le Conseil constitutionnel pourrait décider d’annuler l’élection.» Plus les résultats sont serrés donc, comme ils sont annoncés cette année, plus les irrégularités constatées ont de poids.



Revenons sur la citation de Soral: 

Citation :


...Il y a le joker du système pour annuler les élections qui est l'article 16, il faut que les gens s'intéressent à l'article 16. Si la paix sociale ne peut être maintenue, si il y a des troubles trop violents, la Constitution permet d'annuler le processus électoral et de maintenir le pouvoir en place tel qu'il est.



2 phrases, 4 affirmations fausses, 1 demie vérité, 1 truc vrai, et surtout un ensemble qui ne colle pas.  
 

Décortiquons point par point la citation de Soral :

de Soral :


Il y a le joker du système pour annuler les élections qui est l'article 16



Faux, on a vu qu'il y a rien dans l'article 16 permettant d'annuler, reporter ou suspendre des élections, l'article 16 permet seulement au Président de la République d'exercer momentanément le pouvoir législatif
 

Citation :


Si la paix sociale ne peut être maintenue, si il y a des troubles trop violents



Demie vérité, l'article 16 de la Constitution ne peut être déclenchée qu'en cas d'interruption du "fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels" ; donc pour faire simple : l'invasion par une armée étrangère ou une tentative de coup de d'Etat comme pour l'unique fois ou a été utilisé l'article 16 : 

Citation de Wikipédia :


Après le putsch des généraux à Alger, l'état d'urgence est appliqué à partir du 23 avril 1961 par le général de Gaulle sur l'ensemble du territoire métropolitain. Le régime d'exception, instauré pour réprimer les nationalistes algériens en 1955, est finalement utilisé contre leurs adversaires en 1960. 
 
Ces mesures sont accompagnées, pour l'unique fois dans la Ve République, par des « pouvoirs exceptionnels » pris par le président de la République du 23 avril au 29 septembre 1961, en application de l'article 16 de la Constitution



On est au delà d'émeutes ou d'une série d'attentats, types de troubles que sous-entend Soral.  
 

Citation :


la Constitution permet d'annuler le processus électoral



Le seul truc vrai, l'article 7 permet de reporter le scrutin, l'article 58 permet d'invalider une élection. 
Le seul truc vrai... à condition de bien sélectionner le morceau de phrase qui au demeurant n'a foutrement aucun enjeu. 
 

Citation :


Si la paix sociale ne peut être maintenue, si il y a des troubles trop violents, la Constitution permet d'annuler le processus électoral


 
Faux encore une fois, puisque la seule cause de report du scrutin est la mort ou l’empêchement d'un candidat et la seule cause d'annulation est l'irrégularité susceptible d'avoir des conséquences sur les résultats.   
 

Citation :


et de maintenir le pouvoir en place tel qu'il est



Faux, il suffit de regarder le mot reporter dans le dictionnaire. Quant à une annulation elle entraine la tenue d'un nouveau scrutin.  
 

Citation :


Il y a le joker du système pour annuler les élections



Faux, on a vu que les cas entrainant l'annulation ou le report du scrutin sont trop restreints et précis pour qu'ils servent de joker.  
En effet à travers cet exemple on remarque bien ce mélange d'un peu de vrai et de beaucoup de faux pour soutenir une idée erronée.  
 

*

 
Certains soralâtres seraient peut être tentés d'y voir une autre facette de son talent mais il n'en est rien. Ce type de construction n'est ni compliquée, ni rare, c'est une technique assez commune utilisée par les escrocs ou les menteurs pathologiques : on met en avant un fait que tout le monde connaît on y rajoute des éléments compliqués et obscurs pour soutenir une hypothèse absurde. Par exemple, imaginons que j'affirme : 

« Il faut savoir que la Tour Eiffel, construite pour l'Exposition universelle de 1889, a été conçue aussi pour l'usage de la télégraphie sans filc'est d'ailleurs pour ça qu'elle a cette forme et que l'acier puddlé a été utilisé pour sa construction c'est parce que ça conduit mieux les ondes ».

En bleu, le truc vrai.
En vert, l'affirmation WTF.
En rouge, l'explication pseudo-technique totalement bidon que le commun des mortels ne sera pas en mesure de réfuter dans une conversation au quotidien.

Cette technique a quelque similitude avec celle du pied dans la porte qui « consiste à faire une demande peu coûteuse qui sera vraisemblablement acceptée, suivie d'une demande plus coûteuse. Cette seconde demande aura plus de chance d'être acceptée si elle a été précédée de l'acceptation de la première, qui crée une sorte de palier et un phénomène d'engagement ». 
 
 
En soutenant un premier fait reconnu comme vrai, la seconde explication aura plus de chance d'être reconnue comme vraie, même si elle est inconnue ou parait obscure, invérifiable. 
On retrouve ici l'effet de palier et en même temps, l'effet de capitulation produit par le sentiment de manque de bagage culturel et scientifique face un discours utilisant souvent une terminologie complexe, qui empêche souvent d'analyser le discours. En effet dans ce genre de cas l'attention de l'auditeur se portera non sur le sens global du discours mais sur la complexité de ses termes et particulièrement ceux dont il ignore le sens. 
Il ne faut pas non plus oublier l'effet de confiance acquise en raison du premier fait incontestablement vrai. 
 
*
 

Revenons sur la citation de Soral concernant l'article 16 de la Constitution. En utilisant le découpage par couleur, on retrouve bien ce schéma: 

Citation :


... Il y a le joker du système pour annuler les élections qui est l'article 16, il faut que les gens s'intéressent à l'article 16. Si la paix sociale ne peut être maintenue, s'il y a des troubles trop violents, la Constitution permet d'annuler le processus électoral et de maintenir le pouvoir en place tel qu'il est.

 

On retrouve le même schéma, avec en plus la posture prescriptrice (en gras), qui est récurrente voire très récurrente. [:somberlain24:8] , qui est aussi une posture prescriptrice, n'est pas devenu un mème par hasard...
 
On retrouve le même schéma, à la nuance près que ce qui est vrai ne vient pas en tête de phrase. Cela s'explique par deux facteurs : le premier est que la phrase est courte, le deuxième est que le thème est relativement compliqué, l'article 16 de la Constitution étant relativement peu connu. 
Difficile alors en évoquant un sujet peu connu d'y trouver un fait connu de tous ; mais qu'à cela ne tienne, un peu d'aplomb, une posture prescriptrice, et un fait vrai suffisamment flou et ça fait la rue Michel !
D'autant que  le pigeon lambda ira vérifier sur Wikipédia et tombera sur la première phrase de l'article: 

Citation :


« L'article 16 de la Constitution de la Cinquième République est un article de la Constitution de 1958 connu comme celui qui, en période de crise, permet de donner les « pleins pouvoirs » au président de la République française. »



ou sur la première phrase de l'article 16 : 

Citation :


« Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. »



Il se rappellera alors les propos de Soral, et notamment: 

Citation :


s'il y a des troubles trop violents



Puis il se dira que le Master dit la vérité, puisque l'article 16 mentionne effectivement des troubles et des crises. 
Seulement, l'auditeur ne cherchera pas à savoir si l'annulation des élections fait parti des pouvoirs donnés par l'article 16...

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